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Lecture croisée d’une Algérie en ébullition. Soulèvement populaire, et maintenant !

Les tenants du pouvoir en Algérie pêchent sciemment dans un conspirationnisme nihiliste traduisant ainsi sa peur de tout changement. Les millions de citoyens ayant battu le pavé durant ces six dernières semaines afin de demander le changement du système n’a pas eu raison de la soif démoniaque de ce pouvoir qui, par ces multiples roublardises et complotismes, tentent vaille que vaille de berner le mouvement citoyen par des pseudo-changements de chef du gouvernement en jouant à sa guise de la constitution. Face aux manifestations de millions d’Algériens, le régime en place répond inlassablement par des messages sibyllins où l’attentisme suinte comme une vérité immuable de se maintenir le plus longtemps possible sur le trône. Dans ce climat d’imbroglio et d’incertitude, plusieurs scénarios sont plausibles, mais pour l’instant le succès n’est pas au rendez-vous. Le soulèvement populaire se veut de détrôner ce pouvoir autocratique qui s’est installé dans la durée, et ce, depuis 1962.

La lecture faite par ce régime des revendications liminaires du mouvement populaire est complètement biaisée au vu de la tournure que prend la situation actuelle. Maintien du gouvernement de transition installé de facto par le régime lui-même ainsi que la convocation du corps électoral, dont les prochaines présidentielles sont fixées au 4 juillet prochain. Une démarche qui veut s’inscrire dans la négation des désidératas du peuple. Le pouvoir n’est nullement prêt de voir ce soulèvement populaire comme une occasion de relancer le processus démocratique et de se mettre sur les rails. Au-delà des grandes phrases oiseuses et des promesses mirobolantes du chef d’État-major de l’ANP et vice-ministre de la Défense, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, le changement tant attendu n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu. Et pour cause, comment peut-on s’attendre à des changements positifs de la part d’un corps ayant de tout temps marché et/ou comploter pour le maintien du régime en place. Pardi ! autant attendre le père Noël qu’il fasse son entrée par la cheminée. C’est dire que le système a changé de visage et de forme, mais il garde jalousement le fond.

D’une seule voix, le peuple rejette péremptoirement les rhétoriques laudatrices et les discours systématiquement alambiqués et du régime et de ses relais. Depuis la mobilisation citoyenne en date du 22 février dernier à ce jour, le feuilleton du « dégagisme » prend de l’ampleur au même titre que les tentatives de phagocyter la protesta par le pouvoir. Nonobstant les protestations appelant au départ inconditionnel de tout le système mis en place depuis des décennies, l’hubris démesurée et la soif démoniaque du pouvoir poussent ces cacochymes à la démence. La dynamique de changement n’a jamais été au programme de ce système loin des aspirations du peuple algérien. Quant aux réformes apportées par-ci par-là sont suffisamment ambiguës pour ne pas modifier in fine les prérogatives du régime. Par cette stratégie machiavélique, ledit régime se veut être un îlot de stabilité qui vise avant tout à pérenniser son règne. Mais, la jeunesse algérienne en a voulu autrement, car elle a été de tout temps mise à l’écart des décisions politiques et économiques. L’apparition des jeunes en tant que catégorie sociale et acteurs de changement a subjugué plus d’un, d’autant plus que sa détermination de rompre avec ce régime est inébranlable au vu des mobilisations quasi-quotidiennes pour dire haut et fort son « ras-le-bol ». L’activisme des jeunes s’observe par les actions menées d’amont en aval durant toutes les manifestations, de surcroit, connotées par un civisme inégalable et un pacifisme inébranlable. Un projet de société doit être réinventé, et ce, par l’instauration d’un État de droit et la mise en d’une nouvelle constitution apte à répondre aux attentes du peuple, notamment en matière des libertés et de la démocratie. Par définition, un « État de droit signifie que les pouvoirs publics doivent exercer leurs fonctions selon les balises définies par un ensemble de normes juridiques. Nul n’est au-dessus de la loi. Plus généralement, cet ordre regroupe un ensemble de règles juridiques qui prémunissent les citoyens contre les formes arbitraires du pouvoir (exécutif). Pour qu’un État de droit existe, il faut que les obligations qui émanent de l’État soient officielles, impersonnelles, impératives et sanctionnables. En d’autres termes, les lois être connues (publiques), personne ne peut y échapper, elles doivent s’appliquer réellement et la transgression de la loi doit entraîner des sanctions. »

En effet, l’Algérie est asphyxiée par cinquante-sept ans de politiques indifférentes aux réalités et aux injustices subies par les « oubliés ». Au demeurant, le changement passera aussi par une laïcité effective, loin de l’islamité et de l’arabité outrageusement déployée par le régime au détriment de la berbérité. Le fédéralisme, un concept tant abhorré par une certaine élite mal lunée, pourrait faire office de baume aux moult disparités qui en découlent du jacobinisme, tant il cristallise le centralisme et le totalitarisme à l’état pur. En somme, le fédéralisme de bon aloi et son corollaire l’égalité entre régions peuvent défricher le terrain des inégalités tant sociales, économiques et politiques. Une société libre, c’est une société bien informée et sur son passé et sur son avenir. C’est encore plus important dans une Algérie où la désinformation a de tout temps faussé la vérité. L’histoire du pays est falsifiée pour en faire un fonds de commerce pour des charlatans d’un autre âge.

L’Algérie sous la coupe de satrapes qui ne se résolvent à quitter le pouvoir que quand ils ont usé de toutes leurs armes, ruses et sortilèges et quand leurs parrains de l’extérieur ne peuvent plus rien faire pour eux. Mais, pour l’instant, ils s’agrafent avec véhémence au trône et ne montrent guère des signes de bonnes volontés pour passer le flambeau au peuple. L’immixtion de l’armée dans la gestion de cette crise aigüe n’est pas vue d’un bon œil par les démocrates. Et pour cause ! Ahmed Gaïd Salah s’est auto-proclamé roi de la situation, en catimini. Ainsi, l’application de l’article 102 de la constitution n’est qu’un subterfuge de plus pour glisser le curseur vers un scénario à la « Sissi ». Quant aux articles 7 et 8, ils n’ont de sens que dans la bouche de celui qui les prononce sans vraiment penser à les appliquer stricto sensu. L’annonce de l’ouverture des dossiers de corruption comme ceux de Sonatrach, El-Khalifa et El-Bouchi est anachronique. L’arrestation de l’homme d’affaires Issad Rebrab par la gendarmerie nationale pour « fausse déclaration concernant le mouvement de capitaux », ainsi que les frères Kouninef. Cependant, la justice actuelle assure-t-elle toutes ses missions qui lui sont conférées ? Est-elle aussi autonome pour se prononcer sur ses affaires épineuses ? Comment dès lors encenser l’intervention de Gaïd Salah alors qu’il n’a tenu aucun de ses engagements vis-à-vis du peuple ? Telles sont les questions qui se posent d’elles-mêmes. Nous sommes face d’un jeu malsain orchestré par des fantassins à dessein de rouler dans la farine les manifestants.

Cette série d’événements qui secoue l’Algérie depuis des semaines devrait donner à réfléchir au régime qui semble ne pas comprendre le message du peuple. « L’événement crée une possibilité politique nouvelle seulement si sa forme créatrice ne se réduit pas à un mot d’ordre tactique négatif. On se souvient des centaines de milliers de personnes scandant ″Moubarak dégage!″ en Égypte, ou ″Ben Ali dégage!″ en Tunisie. Or, si le mouvement populaire a trouvé son unité dans la négation de l’État, la création d’une nouvelle politique suppose, elle, la réunion de toutes les composantes du mouvement dans une affirmation de ses principes propres », souligne Alain Badiou, philosophe français lors de son intervention à l’institut du monde arabe en novembre 2013. C’est pour ces raisons qu’il est impératif de ne pas retomber dans le même piège et tirer les leçons de ce vent de révolte qui a balayé l’arrogance desdits potentats.

L’air de révolte qui souffle sur la « planète Algérie » a pris dans ses pans des intellectuels de service, des clients du régime et des partis politiques affichant sans vergogne une versatilité qui frise l’insulte. N’est-il pas risible de voir toute cette démagogie et ce populisme qui écument les plateaux télé et autres médias ? Dans la situation de misère politique et le désert éthique qui caractérise l’Algérie, l’émergence d’une nouvelle élite neutre loin de la bassesse et des enjeux politico-politicienne est une condition sine qua non pour une Algérie en devenir. Néanmoins, ces soulèvements ont démontré que de véritables forces d’opposition ont émergé, et exigent des changements radicaux. Ils semblent donner un nouveau souffle à l’idée de démocratie, mise à mal par l’utilisation dévoyée qu’avait pu en faire le régime en place. Une démocratie participative en mesure de répondre aux attentes du peuple. Ce concept désigne l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision.

Mais ces soulèvements sont aussi porteurs, depuis leur départ, de nombreuses incertitudes, notamment en l’absence de représentants, car tant que les manifestations s’étendent sur le temps tant que pouvoir est en mesure de saper le mouvement et de semer la zizanie. L’horizontalité du mouvement peut constituer une véritable épée de Damoclès sur le processus de « dégagisme » qui, en l’absence d’un réel plan de sortie de crise peut se retourner sur le mouvement lui-même.

Par Bachir Djaider (Journaliste et écrivain)

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