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Le jeu dangereux du pouvoir

La démarche de Lakhdar Brahimi est jugée pour le moins «suspecte»L’ancien diplomate affirme que jusque-là il n’a été mandaté par personne pour une quelconque mission, mais il continue de «recevoir» des personnalités et des «représentants» de la société civile, ce qui n’est pas pour rassurer les Algériens.

La décision prise par le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, le 11 mars, de renoncer au 5e mandat et de reporter l’élection présidentielle, avec comme conséquence la prorogation du 4e mandat, a été massivement rejetée par les Algériens. Aujourd’hui, au lieu d’apporter des garanties, des signaux forts quant à sa bonne foi, le système en place a enclenché ce qui s’apparente à des manœuvres dans le but de casser la mobilisation citoyenne.

La démarche, pour le moins jugée «suspecte», de l’ancien diplomate Lakhdar Brahimi, qui, tout en affirmant que jusque-là il n’a été mandaté par qui que ce soit pour une quelconque mission, continue de «recevoir» des personnalités et des «représentants» de la société civile, n’est pas pour rassurer les Algériens. L’objectif étant de s’offrir des «interlocuteurs-maison» afin de faire passer la feuille de route du président de la République.

Pour ce, des relais ont été actionnés pour trouver des jeunes susceptibles de participer à des rencontres avec Lakhdar Brahimi. Le député du Parti des travailleurs (PT) Smain Kouadria a indiqué, hier, dans une déclaration au site TSA, que «les walis ont été chargés d’approcher des jeunes leaders du mouvement populaire, particulièrement les étudiants, pour les convaincre de rencontrer Lakhdar afin de préparer une conférence des jeunes, pour casser le mouvement de protestation».D’autres sources nous ont affirmé que les recteurs des universités ont été destinataires de la même requête. Celui de l’USTHB aurait même «désigné» cinq étudiants pour rencontrer l’ancien diplomate.

Si les manifestants refusent jusque-là toute idée de dialogue en s’accrochant à leur principale revendication, à savoir le départ du système, le pouvoir semble rechercher, coûte que coûte, des interlocuteurs qui cautionneraient sa démarche. Quitte à ce que cela irrite davantage les manifestants. En 2001, lors de la crise de Kabylie, les autorités avaient usé de la même méthode, avec ce qui était appelé les «arouchs Taiwan», de «faux» représentants du mouvement, qui ont été invités pour des négociations par le chef du gouvernement de l’époque, Ali Benflis. L’opération s’était soldée par un échec et Ahmed Ouyahia, son successeur à ce poste, avait pris langue près de trois ans après avec les «vrais» délégués des Arouchs.

Apparition «suspecte» de nouvelles associations

C’est pour cela que l’action menée avant-hier à l’hôtel Riadh de Sidi Fredj par une association nouvellement créée (en décembre apparemment), en l’occurrence l’Union du mouvement associatif et des citoyens (UMAC), a fait polémique. «Des représentants de près de 100 associations nationales ont mis en avant, samedi à Alger, l’impératif de lancer un dialogue national inclusif visant l’encadrement du mouvement populaire que connaît l’Algérie, appelant au changement du système et à l’édification d’une Algérie nouvelle», avait indiqué l’APS.

«Les participants au dialogue des acteurs de la société civile ont appelé toutes les franges de la société algérienne à ouvrir un dialogue national inclusif visant l’encadrement du mouvement populaire et à formuler, de manière efficace, les revendications des Algériens dans un cadre organisé», a ajouté l’agence, même si ceux-là «ont refusé de formuler des recommandations sanctionnant le débat ayant duré presque deux heures, estimant que la seule recommandation était de souligner l’importance du dialogue».

Apostrophée par une journaliste d’une chaîne de télévision privée sur le fait qu’elle soutenait, il n’y a pas longtemps, le 5e mandat, une des participantes à cet événement, une représentante de l’UNFA (Union nationale des femmes algériennes), n’a pas pu trouver de réponse, finissant même par lui demander de ne pas la faire passer à la télévision. L’action de l’UMAC a été perçue par beaucoup comme une tentative de récupération. Sinon, pourquoi accorder à l’événement une telle médiatisation, notamment par le biais des médias publics. Résultat : la liste des membres du secrétariat national de cette «Union», avec leurs coordonnées, a commencé à circuler sur les réseaux sociaux depuis avant-hier soir.

Certains d’entre eux ont même reçu des appels «inamicaux». Hier, l’UMAC a diffusé un «démenti» dans lequel elle a précisé que ce n’était qu’«une rencontre pour débattre entre citoyens de la société civile, comme tout débat dans la rue, au café ou à la maison». Pour ses responsables, il n’était nullement question de se placer en tant que représentants du mouvement. En tout cas, comme les autorités ont, de tout temps, habitué les gens à ce genre de manœuvre, les Algériens ont appris à être vigilants vis-à-vis de tout ce qui apparaît, ex nihilo, dans des contextes particuliers. Le pouvoir a usé et abusé à satiété de ce qui est appelé la société civile.

Recruter des informaticiens pour les besoins de la propagande

Parallèlement à cette volonté de vouloir dégager, dans les plus brefs délais, des «interlocuteurs-maison», et sachant que les réseaux sociaux jouent un grand rôle dans cette révolte, sur les plans organisationnel et même de la réflexion, certains cercles semblent avoir lancé une opération de «contre-révolution» sur Facebook. Selon des informations émanant de plusieurs sources, divers institutions, dont des ministères, auraient «fourni» des informaticiens à la direction de campagne de Abdelaziz Bouteflika, et travaillant donc sous la houlette de Sellal dans un premier temps puis de Zaâlane, même si, faut-il le signaler, certains parmi ces employés ont décliné cette offre récompensée d’une prime de 40 000 DA par mois.

Si leur mission au début était de «vendre» le 5e mandat, aujourd’hui il est question de «s’en prendre» aux pages Facebook les plus dynamiques pour ce qui est du mouvement de contestation. Il est question aussi de dénigrer toute personnalité susceptible de faire l’unanimité au sein de la population ou bien de propager des rumeurs qui puissent saper le moral des manifestants ou les inquiéter. Plusieurs nouvelles «pages», appartenant à des «anonymes», depuis lesquelles sont menées ces attaques, ont vu le jour ces derniers temps. Néanmoins, jusque-là, la démarche ne semble pas donner de  fruits.

La colère des Algériens est telle que le nombre de pages «antisystème» est sans limite. Ce n’est donc sûrement pas le recrutement de quelques dizaines d’informaticiens qui va avoir de l’effet sur le cours des événements. En somme, l’«offre» de transition de Bouteflika est apparemment accompagnée de manœuvres visant à démobiliser la population. D’où tout  le scepticisme qu’affichent même les personnes les plus «modérées»…

Abdelghani Aichoun

Source : El Watan

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