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jeudi 28 mars 2024
Economie«L’Algérie vacille entre attentisme prudent et ambition irréaliste»

«L’Algérie vacille entre attentisme prudent et ambition irréaliste»

Nadia Benalouache. Docteure en géographie économique, spécialiste de la transition énergétique bas-carbone au Maghreb à propos des énergies renouvelables

– Que pensez-vous de la stratégie énergétique algérienne, notamment dans le domaine des énergies renouvelables ? Et comparativement à nos voisins maghrébins ?

Il est difficile de parler pour l’Algérie de “stratégie énergétique”. Le contrôle de la demande domestique en énergie, ainsi que l’intensification des investissements pour la construction de capacités supplémentaires, y compris de gaz de schiste, constituent les axes principaux de cette stratégie, mais elle reste relativement floue et sa vision est «court-termiste». En effet, l’Algérie n’est pas dans la perspective de rompre avec sa dépendance aux hydrocarbures.

Pourtant, outre la perspective de l’épuisement de ces ressources, il existe bien un impératif climatique mondial (Accord de Paris), incitant à la baisse de la consommation en énergies fossiles, ainsi qu’un risque toujours présent de volatilité des cours de l’énergie, ayant d’ailleurs plongé le pays dans une récession économique en 2014. Ces éléments devraient donc amener les pouvoirs publics à penser une stratégie à plus long terme, surtout lorsque l’on sait qu’il existe une quasi-corrélation entre les revenus du pays et ceux de la rente énergétique.

Concernant le développement des énergies renouvelables, dont la capacité électrique installée représente en 2017 moins de 3 % du parc électrique national, leur exploitation répond davantage à une volonté de préservation des hydrocarbures. Sur ce plan, en effet, l’Algérie vacille entre attentisme prudent et ambition irréaliste.

Attentiste lorsqu’elle observe les autres pays afin de s’assurer de la maturité technologique des projets poursuivis, c’est notamment le cas avec le voisin marocain qui développe de grands projets solaires industriels, de technologie CSP notamment. Cette attitude s’explique aussi par le fait qu’en Algérie, le recours aux énergies renouvelables reste encore peu concurrentiel. Irréaliste lorsqu’on constate à quel point le Programme national des énergies renouvelables et de l’Efficacité énergétique (Pneree) est ambitieux.

Il vise en effet à installer une puissance d’origine renouvelable de 22 000 MWc (hors hydroélec.) d’ici 2030, alors qu’à ce jour la capacité électrique installée d’origine renouvelable est seulement de près de 380 MWc (hors hydroélec.). Je me souviens qu’après le lancement du Pneree en 2011, certains disaient de l’Algérie qu’elle avait les moyens de son ambition.

Depuis, le contre-choc pétrolier de 2014 a contrarié cet élan. De même que la révolution a amené la Tunisie à une révision de sa stratégie énergétique nationale (baisse notable des objectifs dans les énergies renouvelables), nous sommes en droit de questionner la concrétisation des projets algériens dans les délais annoncés.

Et ce, malgré les déclarations récentes du ministre de l’Energie et des Mines à l’occasion du Salon des énergies renouvelables qui s’est tenu à Oran du 15 au 17 octobre 2018, lequel a déclaré : «Nous allons les réaliser.» Il faut néanmoins saluer l’effort du pays dans la formulation d’objectifs chiffrés et dans la réalisation d’une capacité additionnelle de 343 MWc photovoltaïque depuis 2014.

– Il y a quelques années, de grands projets renouvelables ont été annoncés en grande pompe dans les médias, mais ils n’ont visiblement pas vu le jour. Qu’en est-il de ces projets ? Pourquoi cela n’a-t-il pas abouti ?

A la fin de la décennie 2000, des projets de dimension méditerranéenne, tels que Desertec, Medgrid ou encore le Plan solaire méditerranéen ont effectivement fait l’objet d’une forte et longue médiatisation. L’idée fascine : produire de l’électricité verte au sud de la Méditerranée et l’exporter vers l’Europe.

Finalement, le défi technique (l’intégration des énergies renouvelables et leur évacuation), financier (400 milliards de dollars à investir pour Desertec) et politique (la question israélienne) ont eu raison de ces projets. Mais cela tient aussi beaucoup à la conjoncture internationale et européenne : crise financière de 2008, baisse de la consommation électrique des pays européens (la demande n’existe plus), développement du gaz de schiste, etc.

En fait, la demande électrique croissante au sud de la Méditerranée a même fait émerger l’option inverse : exporter de l’électricité depuis les pays européens vers l’Afrique du Nord ! Il faut reconnaître néanmoins que malgré l’abandon provisoire de ces projets, ces derniers ont permis d’impulser une véritable dynamique au sud de la Méditerranée. Desertec devrait à ce sujet reprendre du service en Algérie.

– Quels obstacles, si obstacles il y a, entravent le développement des énergies renouvelables en Algérie ?

Ce qui me vient directement à l’esprit c’est l’influence (trop) importante des opérateurs publics sur le domaine de l’énergie. Dans le secteur de l’électricité notamment, Sonelgaz exerce un monopole de fait. Autrement dit, bien que la législation en vigueur permette une concurrence dans le secteur, en pratique le marché est monopolisé par le seul acteur, Sonelgaz, sur tous les segments, allant de la production à la distribution.

Or, la mise en œuvre du Pneree a été justement confiée à la Sonelgaz, qui devient donc le principal porteur des projets promus et joue le double rôle de juge et partie. Elle en a certes les moyens financiers et humains, mais il aurait été préférable de créer une entité indépendante afin d’éviter tout favoritisme et d’encourager la participation des acteurs privés, capitale pour la croissance des énergies renouvelables, selon de nombreuses études.

Dans les faits, comme elle en avait le pouvoir, Sonelgaz a exercé, en sa faveur, une influence considérable dans l’élaboration du cadre réglementaire et financier qui régit actuellement le secteur. Pour illustrer cette influence, je vais prendre l’exemple du système de garantie de rachat de l’électricité renouvelable mis en place par l’Algérie.

Dans ce système, Sonelgaz doit racheter à un prix fixé par décret l’électricité verte produite par le tiers. Cependant, le cadre impose au privé un seuil minimum de 100 MW pour les installations photovoltaïques et de 50 MW pour l’éolien. Cela contrarie fortement le développement de projets renouvelables de petite dimension (panneaux sur le toit par exemple), pourtant moins coûteux et à la portée de tous.

Sonelgaz craint pour son monopole et considère probablement ces projets comme peu rentables, car elle rachèterait de l’électricité à un prix supérieur au marché. Dernièrement, un autre monopole, et non des moindres, s’implique dans le développement des énergies renouvelables : Sonatrach, qui prévoit d’ici 2020 de participer à hauteur de 1300 MW à la concrétisation du Pneree.

Même si la production d’électricité n’est pas son corps de métier, Sonatrach a déjà eu une expérience dans le domaine, au travers de la société NEAL, aujourd’hui dissoute, qui a initié la centrale hybride solaire-gaz de Hassi R’mel (SPP1) et dont Sonatrach était le principal actionnaire. Une bataille entre monopoles semble se dessiner autour de l’enjeu des énergies renouvelables. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, si elle permet une émulation en faveur de leur développement !

D’autres obstacles se dressent indubitablement aux investisseurs et/ou porteurs de projets : règle 51/49 régissant l’investissement étranger, bureaucratie pesante, manque de transparence dans l’accès aux informations, probables pressions des multinationales pétrolières sur place, etc.

– Ces projets assurent-ils un développement local (emplois, transferts technologiques) ?

C’était là le grand enjeu des discussions qui ont animé les conférences autour des projets euro-méditerranéens cités plus haut. Pour les transferts technologiques, tout dépend du mode de contractualisation. Si l’on considère les installations renouvelables récemment mises en service en Algérie, on constate que le mode de contractualisation est celui dit clés en main.

Des contrats ont ainsi été conclus avec des entreprises étrangères comme les sociétés chinoises ou allemandes. Le problème est que ce type de contrat est peu favorable aux transferts de technologie.

Il peut certes y avoir des obligations de formation du personnel ou d’assistance technique, mais après réception il est rare de constater que l’un des partenaires locaux ou des sous-traitants réalise lui-même la centrale. D’ailleurs, le plus souvent la performance locale laisse à désirer, car le pays récepteur ne dispose justement pas des compétences nécessaires. Pour ce qui est de l’emploi, il est certain que ce type de projets est générateur d’emplois, directs comme indirects.

– Quelle approche proposez-vous aux pouvoirs publics algériens pour développer efficacement le secteur des énergies renouvelables ?

Je leur conseille d’abord de ne pas considérer uniquement le déterminant technico-économique lorsqu’il s’agit d’opérer des choix technologiques, de monter des projets et de sélectionner le constructeur ou le porteur de projet.

En effet, pour être long-termiste, efficace et juste, une approche doit être globale, systémique, c’est-à-dire qu’elle doit prendre en compte non seulement des aspects techniques et économiques, mais également sociaux et territoriaux. L’analyse des politiques, du cadre réglementaire et des acteurs en jeu suffit à comprendre si oui ou non l’approche adoptée est la bonne et surtout quels intérêts elle est censée servir…

Par ailleurs, il est plus que recommandé de faire la part belle aux acteurs privés qui souhaitent se positionner sur le créneau, notamment sur des projets de petite dimension, connectés ou non au réseau électrique. En effet, la «miniaturisation» des unités de production renouvelable a pour conséquence une multiplication des projets et par là même une croissance des énergies renouvelables dans le pays.

Mais l’Algérie n’a pas la culture du privé : si l’Etat n’a pas de mainmise directe, il n’a pas confiance. Pourtant, il faudrait éviter le recours systématique à des structures monopolistiques telles que Sonelgaz qui, aujourd’hui, sont le principal moteur des programmes de projets renouvelables nationaux (cas aussi de la STEG en Tunisie).

Enfin, compte tenu de son potentiel climatique et spatial et de ses dotations en hydrocarbures, l’Algérie peut faire la différence. Les solutions hybrides solaire-gaz ou solaire-diesel, entre autres, peuvent constituer une réelle alternative à moyen terme.

Cette hybridation permet de résoudre le problème de la rentabilité économique des projets ainsi que celui de l’intermittence des énergies renouvelables (le soleil ne brille que le jour), mais aussi de satisfaire à l’objectif de préservation des ressources en hydrocarbures et -dernier avantage et non le moindre- de ne pas froisser les lobbys du pétrole !

https://www.elwatan.com/pages-hebdo/magazine/lalgerie-vacille-entre-attentisme-prudent-et-ambition-irrealiste-01-11-2018?fbclid=IwAR0KqXgyf9vc0AeRtwGJ6Hxdl4LWWquHhutGbonK4bY190jB9R1Yj6RXfs8

 

Par Omar Arbane
Source Journal El Watan

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