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Imlil : Le Maroc doit lutter contre l’idéologie wahhabite dans son école

Le meurtre de deux touristes scandinaves à Imlil la semaine dernière est un acte odieux qui devrait interpeller tous les Marocains et donner lieu un débat sérieux sur les raisons profondes qui poussent certains Marocains à basculer dans le radicalisme et le culte de la violence.

Les deux scandinaves victimes de l’islamisme au Maroc

Le choc et l’émoi que ce meurtre a causés partout dans le pays ont poussé des millions de Marocains à condamner ce meurtre contraire à la nature tolérante, pacifique et hospitalière du Maroc et à exprimer leur solidarité à l’égard des familles des deux victimes.

Éviter l’auto-flagellation

Les Marocains ont fait preuve d’empathie envers les familles des victimes et démontré une nouvelle fois qu’ils sont épris de paix et que leur pays a toujours été et restera un pays accueillant et hospitalier, et qu’ils ne peuvent en aucun cas accepter la perpétration de ce genre de crime.

Cela étant dit, il faudrait savoir raison garder, ne pas se laisser emporter par ses émotions au point de s’auto-flageller ni présenter des excuses collectives aux Danois et aux Norvégiens pour ce qui s’est passé.

De la même manière que les Norvégiens n’étaient pas censés s’excuser pour l’attaque de 2011 perpétrée par un membre de l’extrême droite qui a tué 85 innocents, le peuple marocain n’a rien à se reprocher pour le meurtre d’Imlil et ne devrait pas s’en excuser.

Les suspects sont des brebis galeuses qui ne peuvent en aucun cas représenter l’ensemble du peuple marocain. Comme d’autres peuples, les Marocains cherchent à mener une vie décente, vivre dans la paix, la stabilité et la sécurité, avoir accès à un système d’éducation et un système de santé de qualité et offrir de bonnes perspectives d’avenir à leurs enfants.

Certes les suspects ont commis un acte de terrorisme et prêté allégeance à ISIS. Mais leur acte ne reflète ni leur piété, ni une connaissance approfondie de l’islam. Ils ne visent pas non plus à défendre les intérêts ou les revendications de leur communauté. Les suspects sont tout simplement aveuglés par la haine et le ressentiment et déterminés à se retourner contre leur société. Ils font partie d’une petite minorité en perte de repères qui prône un discours de haine et de violence qui devrait être combattu par tous les moyens possibles.

S’attaquer aux causes profondes du terrorisme

Au lieu de prendre des raccourcis et de placer le débat autour de la religion ou de plaider pour une réforme de la religion ou pour la fermeture des conseils locaux des Oulémas, comme certains ont pu le faire, nous rendrions un service à notre pays et à notre société en nous attaquant aux causes profondes du terrorisme, lesquelles sont plutôt économiques et sociales. Tout compte fait, l’allégeance à l’Etat islamique est devenu un prétexte et un cri de ralliement pour les laissés-pour-compte qui vivent dans la marginalité et la précarité sans aucune perspective d’améliorer leurs conditions de vie.

Certes depuis les attentats de Casablanca en 2003, le gouvernement marocain a adopté une approche pluridimensionnelle pour lutter contre l’extrémisme. Le renforcement de l’appareil sécuritaire, du contrôle des frontières, de l’autorité de l’État sur la sphère religieuse, ainsi que le lancement des projets de lutte contre la pauvreté ont permis au Maroc de devenir un des leaders mondiaux dans la lutte contre le terrorisme et de figurer parmi les pays les plus sûrs au monde.

Cependant, les stratégies du gouvernement n’ont pas permis d’améliorer la vie des habitants des zones défavorisées, ni d’immuniser les Marocains contre l’endoctrinement par des groupes extrémistes.

Bien que les efforts du gouvernement soient louables, ils ont eu tendance à se concentrer sur certaines régions du pays aux dépens des autres. Il semble que les responsables marocains soient toujours guidés par la dialectique du Maroc “utile” et du Maroc “inutile”, héritée de l’époque coloniale lorsque la France favorisait certaines régions et en négligeait d’autres.

Certains ont tendance à croire que tant que certaines grandes villes se développent et que des milliards de dirhams sont investis dans de grands projets structurels, le pays est sur le droit chemin de la sécurité, le progrès et la prospérité.

Ce qu’ils semblent ignorer, c’est que le Maroc ne se limite pas aux grandes agglomérations urbaines que sont Casablanca, Rabat, Marrakech ou Tanger, mais qu’il faut aussi accorder une plus grande attention aux zones rurales et aux autres régions du pays. Alors que des millions de Marocains bénéficient des projets à grande échelle lancés par le Maroc au cours des deux dernières décennies, des millions d’autres n’en bénéficient pas et estiment que leur gouvernement les a délaissés.

Réformer un système éducatif défaillant

Par ailleurs, le Maroc paie le prix de l’échec retentissant de plusieurs tentatives de réformer le système éducatif et de dispenser un enseignement de qualité à toutes les couches sociales, notamment les couches défavorisées. En dépit des réformes qui ont été mises en œuvre et des centaines de milliards de dirhams qui ont été dilapidés, le système éducatif marocain se situe au dernier rang du classement mondial et dans le monde arabe.

Il est temps que les responsables du pays se rendent à l’évidence qu’on ne peut construire une société saine, productive et épanouie sans investir dans le capital humain, plus particulièrement dans l’éducation. On a beau construire des projets structurants étincelants, des salles de cinéma ultramodernes, des stades dernière génération ou le gratte-ciel le plus haut d’Afrique, si on n’investit pas dans le capital humain et on ne garantit pas l’égalité des chances à tous les Marocains, quelles que soient leurs régions et leurs affiliations familiales, il est juste question de temps avant que le château de cartes ne s’effondre.

L’éducation est la clé de voûte de toute société. Quand le système éducatif échoue dans sa mission de garantir l’égalité des chances et d’offrir aux gens l’espoir d’un avenir meilleur et d’être des membres productifs de la société, les couches défavorisées n’ont plus que le désespoir, l’analphabétisme et l’ignorance, un terreau propice à l’endoctrinement et la radicalisation.

Toute personne qui vit dans l’analphabétisme, la marginalité et la précarité et estime que sa société l’a abandonnée est susceptible de devenir une proie facile pour les groupes terroristes.

Combattre le wahhabisme

Plus important encore, le gouvernement devrait redoubler d’efforts pour lutter contre l’idéologie wahhabite qui a imprégné notre culture et notre discours public au cours des trois dernières décennies. Des millions de Marocains ont vu comment cette idéologie, défendue à coup de pétrodollars saoudiens, a bouleversé et affecté la culture de tolérance et d’ouverture au monde qui les a rendus fiers de leur pays.

Nos aînés ne reconnaissent plus la société dans laquelle nous vivons. En raison de leur exposition aux chaînes de télévision et de radio financées par l’Arabie saoudite, de plus en plus de Marocains sont devenus plus réceptifs aux idées obscurantistes, moins tolérants envers les autres et ont adopté des coutumes qui sont étrangères à la culture marocaine.

C’est cette lecture bornée et extrémiste de la religion promue par le wahhabisme qui fournit aux criminels radicalisés des prétextes idoines pour commettre leurs attaques terroristes au nom de l’islam.

Garantir l’égalité des chances à tous les Marocains, assurer une répartition plus équitable des richesses du pays, engager une véritable réforme du système éducatif et lutter contre le wahhabisme sont les conditions sine qua non pour se prémunir contre l’idéologie radicale et construire une société guidée par les valeurs de tolérance, la transparence et le respect des autres, sans distinction de culture ou de conviction religieuse.

 

Samir Bennis 

Conseiller politique et diplomatique basé à Washington, rédacteur en chef de Morocco World News

 

Source : huffpostmaghreb

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