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samedi 20 avril 2024
DébatsHommage à Abederrahmane Mira

Hommage à Abederrahmane Mira

57ème anniversaire de la disparition de Mira Abderrahmane (chef de l’ex Wilaya 3 historique) : Un héros sans sépulture.Plusieurs fois, l’itinéraire de Mira Abderrahmane a été relaté. Il est en grande partie connu. Son fils, Tarik, a décidé de lui rendre hommage en retraçant de façon poignante son dernier jour et soulève en même temps la disparition de sa dépouille mortelle. Que font les autorités algériennes pour réparer cette anomalie ? Une sourde explosion, tirée d’un lance-patates (onze grenades), puis des rafales nourries. Silence ! Le capitaine Alphonse Treguer, commandant de la 1ère compagnie du 2ème Rima (Régiment d’infanterie de marine aéroportée ou les Marsouins) (1), posté  au nord-ouest du lieu de l’accrochage, regarde sa montre et dit  « il est quatre moins dix ». Madjid, un jeune prisonnier Algérien, commis de force à la corvée pour porter le poste émetteur, se souvient comme si c’était aujourd’hui. Juste avant les détonations, le capitaine avait reçu un appel radio. Nous sommes le 06 novembre 1959, en pleine opération «  Jumelles », le chef de la Wilaya 3, Mira Abderrahmane et son escorte, le jeune Yata Bachir, dit Mouloud, du village d’Ait Anane, ont rendu l’âme.Le jour dernierAvant que ce jour advienne, l’opération « Jumelles », commencée le 22 juillet 1959, soit trois mois et demi déjà, a fait des dégâts considérables dans l’Aln de la Wilaya 3. Le plan Challe, dont est issue l’opération en question, a également réduit la capacité de frappe de l’ensemble de l’Aln intérieure  et bloqué le franchissement des frontières. Malgré l’affaiblissement militaire de l’Aln, l’espoir demeure d’un renversement du rapport de forces.  Il faut donc remonter le moral des troupes. Mira Abderrahmane n’a eu de cesse de le faire depuis qu’il est revenu de Tunisie. Les  quatre zones de la troisième Wilaya  ont reçu sa visite.Le 04 novembre, il est en région 4 de la zone 2, près de Toudja. Il démarre de là et passe la nuit avec son escorte réduite (Ziri Mohand Said, secrétaire particulier, Aziri Ali dit Half track, liaison de wilaya et quatre autres moudjahidines) près d’Azazga. Le 05, en début d’après-midi, ils arrivent à Ait Anane, près du Col de Chellata et se rendent au refuge tenu par Yata Rabah, le père de Mouloud (2). Nous sommes à vol d’oiseau à cinq cent mètres du poste de Tizi N’Slib et autant du Pc Artois, situé à Tizi Ouvloudh  (col du chêne) où siège le Général Challe, commandant la fameuse opération. Au refuge, Mira discute de la situation générale, prend des nouvelles de la région et se soucie de l’état de santé de Kaci N’ tfrith, très affaibli, démoralisé. Celui-ci est arrivé de la région 2, près de M’chedellah. Autrefois, il faisait partie du bataillon de choc de la Wilaya, commandé par le lieutenant Hocini Lahlou, tombé au champ d’honneur dans une célèbre bataille à Tikjda, l’année 1958.Mira veut redonner des forces au patient et ordonne qu’on lui achète  un peu de foie de mouton. Lui-même s’offre de nouveaux pataugas. Dans la nuit du 05 au 06, vers deux heures, la petite troupe se sépare pour se reposer. Mira dit à la liaison de wilaya : « rendez-vous demain à Ait Bessai, le premier arrivé attendra l’autre. Moi, je rendrai d’abord visite à mon fils ». Smaïl, son fils ainé est réfugié avec sa mère, dans le plus grand anonymat, au village d’â côté : Tazaghart. A l’abri situé au lieu-dit Tivhirine où il a passé la nuit, Mira refait son apparition vers 11h00 du matin. Sa petite escorte est située nettement plus au nord. Elle ne tardera pas à être coupée de son chef lorsque, vers midi, le capitaine Treguer sort de la caserne de Tizi N’Slib. Il a décidé d’effectuer, dira-t-il,  dans  son rapport, une opération de sous quartier.  Est-ce vrai ? (3).Toujours est-il que sa troupe se déploiera en suivant le chemin vicinal, au-dessus des villages Ait Mekkedem, Ait Hyani et Ait Anane. La retraite est coupée vers le village de Chellata et vers le versant nord du Djurdjura. Treguer se poste avec d’autres soldats à l’ouest, coupant le passage vers Tazaghart. Il ne reste plus que le sud où l’on ne voit pas de mouvement de troupe. Mais, le terrain en cet endroit est très accidenté.Les trois villages alignés sur une ligne de crête sont désormais encerclés et Mira y est. Ce dernier est  sûr de lui. Que dira le capitaine Treguer, devenu colonel, à qui  René Rouby, prisonnier de l’Aln libéré par Mira Abderrahmane, le mois de mai 1959, lorsqu’il a rencontré l’officier cinquante plus tard : « J’observais Mira à la jumelle, et il le savait. Il me fixait du regard à distance. Il me défiait en quelque sorte ». Abderrahmane Mira, connu dans l’Aln pour son intrépidité, en avait vu d’autres. Rien que lors de son périple de retour de Tunisie qui lui a demandé quarante jours de marche (du 16 février – franchissement de la frontière à Negrine –  au 27 mars 1959 – arrivée à Bounaamane, Pc de Wilaya), il a eu  treize accrochages avec les soldats français.  Le 22 mars, à Arefref, en région  1 de la zone 2, le combat fut acharné. Quatre-vingt moudjahidines sont malheureusement éliminés tandis que l’Aln avait, entre autres, abattu un avion. Mira resta au milieu de la mêlée jusqu’à la fin du combat. Il est connu pour ne jamais s’enfuir quel que soit le grade qu’il portât ou la fonction qu’il occupât. La mission qu’il entreprit l’été 1957 en Wilaya 6 (Sahara), durant trois mois, finit par l’élever au firmament de l’héroïsme. Mohammedi Said, ancien chef de la Wilaya 3 et chef de l’Etat-Major Est, dira du tempérament courageux  de Mira Abderrahmane : «  c’est l’homme qui fait danser sa carabine ».En ce début d’après-midi du 06 novembre 1959, il est  avec le jeune Yata Bachir ou Mouloud, au milieu de la souricière. Ils sont pourtant confiants.Les deux compagnons devisent entre-eux et se mettent en branle  vers le nord. C’est  dangereux puisque une partie des soldats est embusquée ouvertement à cet endroit. Chemin  faisant, les deux maquisards s’enfoncent brusquement dans un ravin très escarpé. Ils ne sont plus en vue de quiconque. Direction l’aval de la rivière, à quelques encablures du  village de M’liha, situé au sud. Les troupes postées en différents endroits ne bougent pas alors que les deux maquisards sont en train de  leur échapper. Arrivés en bas de l’embouchure de la rivière après un effort surhumain, les deux hommes alignés l’un derrière l’autre – Yata armé seulement d’un colt en premier – surgissent presque face-à-face avec une partie de la compagnie embusquée à cet endroit. Les deux hommes n’obtempérèrent pas aux ordres et décident de tirer mais, hélas, le lance-patate est déjà envoyé. Mouloud tombe le premier, tête presque entièrement coupée, tenue seulement par un dernier ligament. Mira est touché par des éclats au visage et a le bras droit brisé. Il est, selon le soldat Pierre Dufeu (4), encore conscient et fait passer sa Mat (5) vers la main gauche puis essaye de contourner un rocher. Il est poursuivi par des soldats qui ouvrent sur lui un  feu nourri. Il tombe. C’en est fini.Qu’est la dépouille mortelle de Mira devenue ?Un quart d’heure plus tard, le capitaine avait dévalé la descente. Il vérifie le contenu de la sacoche(6), y trouve des courriers adressés à Mira Abderrahmane, de l’argent. Il dira à sa troupe « c’est le chef de la Wilaya 3 que vous venez d’abattre. Il faut faire vite car il doit y avoir une katiba dans les parages ». Mais comment transporter le corps dans cette montagne extrêmement accidentée ? On voit un ânon paître pas loin. On met dessus le corps du chef de la Wilaya 3 et la tête de Yata Mouloud. Doucement la troupe remonte la pente. Les harkis sont les plus excités. L’un d’entre-eux met les pataugas de Mira autour de son coup, un autre improvise un discours au village d’Ait Mekkedem. Il dira que « la guerre est désormais terminée. Après Amirouche, on vient de tuer Mira. On a mis fin à la terreur. Que vous reste-t-il ? ».Puis le corps de Mira et la tête de Mouloud sont mises sur un Gmc (7), direction le centre de tri et de transition d’Akbou.  Un commerçant de Tazmalt, Letifi  Laïd, et un maquisard originaire de Bordj Bou Araridj, emprisonnés à Akbou,  lavent le corps qui a été formellement reconnu par  Mira Ahmed, capturé trois mois auparavant à Ait Hamdoune, Achiou Boudjemaa, originaire de Taghalat, lui aussi capturé blessé à Thala L’Bir, célèbre grotte près de Boudjellil,  et enfin par Mira Madjid, un autre cousin. Le lendemain, le 07 novembre 1959,  le corps de Mira sort du CTT d’Akbou et mis dans un hélicoptère, direction Taghalat où la population des Ait Mellikèche est conviée à voir pour la dernière fois Mira Abderrahmane. A Tazmalt, la population est aussi rassemblée à l’héliport. Pour une raison encore inconnue, cette dernière étape est éliminée. A Taghalat, c’est la consternation, la tristesse et l’incrédulité. Cette opération d’agitation et de propagande est certainement l’œuvre du 5ème Bureau français, dont le capitaine David, qui officiait à Tazmalt, avait prédit au maire de l’époque, le 22 juillet 1959, que Mira n’en aurait pas pour longtemps dès lors que l’opération « Jumelles » est déclenchée. Challe en personne voulait sa tête, disait-il.Après deux heures, le peuple  est dispersé. Le corps de Mira Abderrahmane est repris dans le même hélicoptère qui prend la direction du sud alors qu’il est venu de l’est. A Akbou, l’armée n’avait qu’un seul avion et pas de ce type. Celui-ci est certainement venu d’Ain Arnat, base de l’Alat (Aviation légère de l’armée de terre) au niveau de la Zec (Zone est du Constantinois), dont dépendait le secteur militaire d’Akbou. Qu’est devenu le corps de Mira Abderrahmane ? A-t-il fait un arrêt à Bougaa où la rumeur court  que le corps a été enseveli dans la caserne, enterré par des prisonniers ?Pour ma part, j’ai eu des autorités françaises quelques réponses :- Après le 06 novembre 1959, pas de trace dans le journal de marche du la première compagnie du 2ème Rima, – Pas de trace non plus au Ctt d’Akbou au-delà du 07 novembre 1959, à 10h00, qui signale la sortie du corps de Mira Abderrahmane. C’est ce que soutiendra également le Commandant Lablancherie, chef du 2ème Bureau d’Akbou, cinquante plus tard devant l’émissaire que je lui ai envoyé. Un autre prisonnier algérien, encore vivant, est formel. Il infirme cette assertion malgré les archives. Il soutient que le corps de mon père a été ramené une deuxième fois au Ctt, le 07 décembre (donc de retour de Taghalat) pour en ressortir le lendemain, le 08, pour une destination inconnue. Il me donne des informations troublantes, précises dans sa narration. Un évènement qu’il me rapporte ne pouvait pas avoir lieu si mon père n’était pas resté quarante- huit heures au Ctt d’Akbou.  Des pistes de recherche restent à exploiter, notamment du côté de du 5ème Bureau  ou dans les archives de l’Alat. 
Personnalité traitée à sa dimension par la presse française.Le traitement de la mort d’Abderrahmane Mira est à la mesure de ce que représentait le personnage du côté français. Le Monde, L’Aurore, La Croix, etc ont  signalé la mort de ce héros algérien, ce mort sans sépulture, à la une de la titraille ou en première page. La presse sonore – radio et tv – n’est pas en reste. La presse américaine signale la fin de Mira dans « Le New York Times », daté du 07 novembre 1959, en page une. Le titre est laconique « The Major Mira is died ». Dans la presse française, les titres sont variés. Celui de « l’Aurore » est significatif de l’état d’esprit nourri envers Mira, à droite de l’échiquier politique : « Le plus dur chef du Fln a été abattu par nos troupes ». En Algérie, c’est L’écho d’Alger qui traite abondamment l’évènement (Une, première et dernière pages). Dans l’édition du surlendemain, le 08, il signale également que le Général Faure, à Tizi Ouzou,  a été réveillé de nuit – le 06 décembre 1959 –  pour lui apprendre que Mira a été tué.Le 5ème Bureau, quant à lui, fait des lâchers de papillons au titre très simple : « Après Amirouche, Mira est mort ». Le jeune écolier, Hamiche Hacène d’Il Mathene, se souvient très bien de ce papier descendu du ciel  qu’il a gardé secrètement dans sa poche après l’avoir lu. Feu lieutenant Ourdani Mouloud me rapporta la même chose en me disant que les villages alentour de la forêt de l’Akfadou étaient inondés de ces documents, distribués par des pippers.ConclusionJ’ai, à mon humble rang, pu prendre contact avec les acteurs français directement ou indirectement impliqués dans le traitement du dossier ou ayant servi à Akbou ou à Tazmalt particulièrement. J’ai pu glaner quantité d’informations, aidé en cela par les archives du Shat (Service historique de l’armée de terre).  Force est de reconnaître que la pression d’un individu est moindre. D’où le rôle de l’Etat. Lui seul possède la capacité de dénouer l’énigme et de réparer cette injustice.  Il est du devoir de l’Etat algérien de réclamer les corps des disparus. En Wilaya 4, les corps de Bouguerra  M’hamed  et de Bounaama Mohamed, tous les deux chefs de Wilaya, connaissent le même sort. Qu’attend l’Etat national souverain, advenu grâce aux sacrifices des chouhada, pour agir ?
Tarik,Fils d’Abderrahmane Mira .


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