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vendredi 29 mars 2024
DébatsColloque Lounès Matoub : Comment on force la main d’un mort 

Colloque Lounès Matoub : Comment on force la main d’un mort 

Madame, Monsieur,

Quelques amis s’étonnent de mon silence alors que la figure de Lounès Matoub subit une énième profanation de la part de personnalités qui, par leur parcours, les incidents de leur vie devraient défendre le héros du combat et de la civilisation amazighes contre toutes les démarches de dévitalisation. On trouvera ci-après la dernière réponse que j’ai donnée dans un entretien accordé au journal Liberté le 24 janvier 2019.  Mon attitude ne dérive évidemment pas de l’indifférence, encore moins d’un consentement, mais plutôt d’une impuissance silencieuse. Je ne peux me prévaloir d’aucune légitimité biologique, d’aucune autorité universitaire ou policière pour mettre fin, de façon effective, au sort qui vingt-ans après son assassinat, sous couvert d’honorer, vient humilier le cadavre sans repos de Lounès Matoub. En revanche, je peux, bien sûr, pour ne pas donner l’impression d’une approbation tacite des outrages que l’on fait subir à la mémoire de Lounès Matoub, m’autoriser de la confiance répétée de celui-ci pour la confection de quatre livrets de disque réalisés de son vivant et avec son soutien, de son accord pour un livre devenu « Mon nom est combat » (Paris, La Découverte, 2003), des discussions que j’eus le plaisir de mener avec lui. Enfin, je peux m’autoriser de l’expression de sa confiance et de son amitié pour moi quelques jours avant sa mort. Cette recommandation en vaut bien une autre comme dit un personnage dans Les Trois Mousquetaires.

Question du journaliste de Liberté : Un colloque sur l’œuvre du Rebelle se tient depuis hier, à l’université de Tizi-Ouzou, un mot sur cette initiative ? 

Réponse de Yalla Seddiki : Malgré mes réticences à me livrer à des polémiques qui participent à la division des Kabyles, force m’est d’exprimer ici une protestation sereine, assurément et malheureusement sans effet, par rapport à ce colloque. Que – en contraste avec la génération des années quatre-vingt qui a tenu le poète-chanteur dans le plus grand dédain, que, avec le renouvellement des générations, des universitaires kabyles portent leur intérêt sur le parcours de Lounès Matoub, sur une œuvre aussi profonde et complexe que la sienne, ce n’est que justice. Et il n’est lettré, chercheur, amateur, sans parler des défenseurs des libertés publiques et de tamazight qui ne se réjouisse que des jeunes chercheurs nous fassent connaître la lecture qu’ils font d’un accomplissement et d’un héritage historique, poétique et musical comme celui de Matoub. Ces précisions préalables étant énoncées, il me semble que le devoir premier des chercheurs et des organisateurs d’un colloque comme celui organisé à Tizi-Ouzou est la fidélité à la vérité. Or, la vérité historique impose ce fait : jamais Lounès Matoub n’a accepté ni n’aurait accepté d’être honoré par des autorités étatiques dont il a sans trêve désavoué les orientations qui, toutes, ont visé l’anéantissement de ce pour quoi il a combattu au prix de sa vie. Tout peuple a besoin de sacré. Le rôle de ceux qui prétendent honorer la mémoire de Lounès Matoub devrait être, à défaut de respecter le caractère désormais sacré de la figure du poète-chanteur, au moins de ne pas la profaner par la corruption de la vérité. Quels intérêts sert-on quand on force la main d’un mort ?  Pourquoi donner à un rebelle, à titre posthume, un prix appelé « prix de la mémoire » ou de « mémoire », et ce sous l’égide d’un représentant de l’ordre ? Si vous me permettez cette plaisanterie, ils devraient plutôt appeler ce prix le « prix Alzheimer ». Je comprends que l’université subisse des pressions, mais, dans ce cas, il ne faut pas faire de colloque autour de Lounès Matoub. J’ai, en France, à la Sorbonne, avec le soutien du professeur Pierre Brunel et avec Le Centre de recherche en littérature comparée, organisé le premier colloque autour de Lounès Matoub. Si le Préfet de Paris avait voulu s’immiscer d’une façon ou d’une autre dans mon organisation, j’aurais annulé cette rencontre. L’événement de Tizi-Ouzou ne peut avoir lieu que parce que Lounès Matoub est mort. Du temps que taqvaylit pouvait encore répandre son aura, nous restions fidèles aux morts et à leur sacrifice.

Yalla Seddiki

 

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