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Bouteflika, les archives secrètes

Nous savons tous que les intérêts supérieurs des pays occidentaux sont au-dessus des lois, des droits de l’homme, de la démocratie et des choix des peuples. Les responsables de ces pays des « droits de l’homme » ont toujours la bouche cousue lorsque les monarques, les rois, les présidents fantoches bafouent les droits les plus fondamentaux de leurs peuples et même lorsqu’ils commettent contre eux des atrocités.

Ces pays détiennent tous des dossiers lourds sur les despotes de leurs anciennes colonies, mais ils les gardent au chaud tant que ces dictateurs les laissent se servir des richesses de ces peuples opprimés. Ces tyrans ne gardent leur pouvoir que par le soutien et la bénédiction des puissances occidentales et ces dernières ne les lâchent que, lorsque leurs intérêts sont menacés ou lorsqu’ils entendent le grognement et la colère des peuples qui sonnent le glas de leurs protégés.

Le soutien de la France au régime algérien depuis l’indépendance n’est un secret pour personne, mais les décideurs d’Alger pour dissimuler ce soutien inacceptable pour le peuple algérien qui a payé chèrement son indépendance contre ce colonisateur a choisi la règle « La meilleure défense, c’est l’attaque ». Chaque fois que les forces vives de la nation s’attaquent à ce pouvoir despotique, ce dernier crie au loup et les accuse de main étrangère et du parti de la France.

La presse française est certes libre dans les affaires intérieures de l’hexagone, mais les intérêts supérieurs de la France sont aussi les siens. Nous constatons chaque jour, comment cette presse s’attaque et dénonce les atteintes aux libertés et aux droits de l’homme en Asie et en Amérique latine, mais qui ne souffle jamais un mot sur les décideurs d’Alger qui est à moins de deux heures d’avion de Paris.

Le célèbre poète tunisien Abou El Kacem Chabi disait : « si un peuple décide de vivre, il forcera même le destin à l’entendre ». Depuis le 22 février courant, le peuple algérien a décidé de vivre et de faire entendre sa voix et apparemment, elle est entendue sur l’autre rive de Méditerranée et si les médias français commencent à parler de l’Algérie, ce n’est nullement un hasard. En lisant l’article de « l’OBS » dans sa dernière édition, des questions s’imposent :

La France a-t-elle entendu la voix des Algériens avant ses gouverneurs et sent-elle la fin de ce régime qui ne peut plus assurer ses intérêts ? et est-elle en train de lâcher ce pouvoir ?

Nous vous laissons juger vous-même en lisant l’intégralité de cet article.

La rédaction

 

Bouteflika, les archives secrètes

Bien avant d’être un président grabataire, Abdelaziz Bouteflika a été le plus jeune ministre des Affaires étrangères du monde, surveillé de très près par les services français. “L’Obs” a eu accès à leurs rapports.

 

Abdelaziz Bouteflika – qui, à 82 ans, briguera de manière insensée un cinquième mandat présidentiel en avril prochain – n’a pas toujours été ce vieillard grabataire manifestement incapable de diriger son pays. Dans les années 1960 et 1970, alors ministre des Aff aires étrangères de la jeune Algérie révolutionnaire, il était l’un des personnages les plus en vue de la scène internationale. Les plus espionnés aussi. Surtout par les services de renseignement et les diplomates français, dont « l’Obs » a étudié les notes, certaines déclassifiées à notre demande.

Coups bas et manigances

C’est en Machiavel imbu de lui-même et corrompu que ces archives dépeignent celui qui, en 1963, prend la tête de la diplomatie algérienne, à 26 ans seulement : un « personnage dénué de scrupules, doté d’une intelligence aiguë et d’une très grande ambition, capable de risquer sa mise sur un seul coup ». Quel contraste avec l’homme qu’il est devenu ! Et pourtant quel écho au temps présent dans ces documents historiques : coups bas, manigances, huis clos insondable au sommet de l’État, soupçons d’enrichissement personnel… comme si rien ou presque n’avait changé.

Les premières fiches concernant Abdelaziz Bouteflika surprennent par leur concision. Alors que le Sdece, l’ancêtre de la DGSE, connaît les moindres détails biographiques des grands leaders de la guerre d’indépendance, ils ignorent presque tout de celui qui occupera la scène politique algérienne durant les soixante années suivantes. « Ses antécédents ne sont pas exactement connus, si ce n’est qu’il a fait des études secondaires. » Quand il devient ministre, ils n’ont même pas de photo de lui. Mais, très vite, les agents se renseignent sur « ce jeune homme frêle et fluet ». Né à Oujda dans une famille modeste originaire de Tlemcen, celui qui a gagné le maquis dès 1956 puis est devenu « commandant dans l’ALN » (l’Armée de Libération nationale) est identifié, sous le nom de « Si Abdelkader », comme « un fidèle » du chef d’état-major, le colonel Boumediene, futur président du pays.

Et puis les biographies s’étoffent : « Bouteflika se veut un homme de gauche. Très désireux d’apprendre, il lit beaucoup. » Esprit subtil et plein d’entregent, c’est un négociateur retors. » Il apparaît rapidement comme un grand manipulateur, épris de pouvoir. L’homme de tous les complots. Et d’abord du plus célèbre d’entre eux, qui renverse, le 19 juin 1965, le premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, dont le très jeune ministre est, selon Paris, le véritable instigateur.

La France est aux premières loges : alors que les hommes du colonel Boumediene déposent le président Ben Bella au petit matin, Louis Dauge, ministre délégué à l’ambassade de France, est convoqué à 9 heures par Abdelaziz Bouteflika. Le diplomate rend compte de ses impressions dans un télégramme chiffré quelques heures plus tard : « Il est clair que le ministre des Aff aires étrangères fait son affaire personnelle du coup d’État », écrit-il. Il n’est pas surpris : depuis plus d’un an, des rapports du renseignement extérieur français retracent, presque heure par heure, les luttes intestines entre les clans au pouvoir.

En mai 1964, un document du Sdece annonce l’arrestation du directeur de cabinet de Bouteflika, Abdelatif Rahal. Et estime que le ministre devrait « le suivre prochainement

». Le 3 juin, un autre indique que le président Ben Bella vient de signifier à Bouteflika qu’il doit « quitter son poste de ministre ». Un renvoi qui conduit le ministre des Affaires étrangères à passer à l’action contre le chef de l’État. « Menacé d’être écarté de ses fonctions par Ahmed Ben Bella, M. Bouteflika parvient à entraîner Boumediene dans un mouvement qui aboutira au régime actuel » – autrement dit, au renversement de Ben Bella.

L’ambitieux ne s’arrête pas à ce coup d’éclat. Dans les tortueux arcanes du pouvoir algérien, Abdelaziz Bouteflika réussit à éliminer tous ses rivaux. Y compris, selon les Français, l’épouse du nouveau chef de l’État. Dans une note du 7 octobre 1974, le ministère des Aff aires étrangères assure : « Il est à peu près certain que le président Boumediene s’est vu contraint, par l’action conjuguée de MM. Bouteflika et Medeghri [ministre de l’Intérieur], de ramener dans l’ombre sa propre épouse. » Cette dernière, lit-on, « portait ombrage à ceux qui, comme le ministre des Aff aires étrangères, avaient jusque-là l’exclusivité de l’accès direct auprès de Houari Boumediene ». L’homme de confiance du président aurait particulièrement mal vécu un voyage à Cuba en avril, lors duquel la télévision algérienne avait montré Mme Boumediene « souriante aux côtés du président, tandis que M. Bouteflika, perdu dans la foule, essayait vainement de sauver la face ».

Comment s’y est-il pris pour éliminer cette épouse ? En menaçant de salir sa réputation grâce aux réseaux diplomatiques qu’il contrôle. Le sous-directeur au quai d’Orsay poursuit : « Des factures pour l’achat de bijoux à Paris auraient été transmises par le canal de l’ambassade algérienne à Paris », contraignant le président à éloigner sa compagne pour étouffer l’affaire. Redoutable Bouteflika.

Il y a peut-être plus grave. Plusieurs assassinats politiques ordonnés à Alger ont été orchestrés dans les ambassades. Ainsi, le 18 octobre 1970, le héros de l’indépendance devenu opposant Krim Belkacem est victime à Francfort d’un complot planifié, selon le Sdece, par l’attaché militaire de l’ambassade d’Algérie à Paris. Le ministre était-il derrière ? A-t-il couvert ?

En tout cas, l’homme cherche à imposer le respect. Il tient aux manifestations de déférence, aime, découvre-t-on au fil des archives, être courtisé, flatté. « Extrêmement sensible aux égards et très susceptible », « il aime la publicité », peut-on lire dans un document de préparation du voyage officiel du ministre à Paris en 1974. Alors que les services du ministre réclament des motards pour escorter dans Paris la voiture de leur patron, l’ambassadeur Jean-Marie Soutou affirme : « Derrière ce souhait, j’ai clairement décelé un désir de M. Bouteflika de manifester son importance. »

En pleine guerre froide, et alors que Moscou courtise ce leader des non-alignés, Paris pense avoir trouvé un allié de poids en la personne d’Abdelaziz Bouteflika, à qui on reconnaît alors un statut de « second personnage du régime ». Lui-même n’hésite pas à souligner lors d’un entretien avec le ministre Louis de Guiringaud qu’il continue, « comme tous les Algériens, à considérer l’Algérie comme la fille spirituelle de la France ». Une note du Sdece du 25 septembre 1965 se félicite : « Le jeune farfelu d’autrefois a fait place à un homme politique qui croit vraiment à la coopération entre son pays et la France. […] Bouteflika a grandement évolué. Alors que, pour lui, Castro était autrefois l’exemple à suivre, il ne qualifie plus le chef de l’État cubain que de fou furieux. » Paris peut donc bien ajouter quelques motards à son escorte.

Mais la relation privilégiée qui s’instaure ne protégera pas le ministre des intrigues algériennes. Son mentor, le président Boumediene, « a lui-même donné des ordres pour [qu’il soit] surveillé ». Un espionnage qui « a surtout pour but de recueillir des éléments sur les écarts de mœurs ». La réputation de séducteur du ministre est notoire. On lui prêtera même une idylle avec la comédienne Jean Seberg. Pendant des années, rien ne semble pouvoir l’atteindre.

Pourtant, à la mort de Boumediene, en décembre 1978, les rouages se grippent. L’armée ne soutient pas Bouteflika pour la succession. L’héritier présumé est non seulement écarté de la présidence, mais, en quelques mois, de toute fonction politique. Il est « le seul grand vaincu » de la transition. « Une instruction présidentielle ordonne la liquidation de toute son équipe. » Bouteflika se retire en Suisse. Coup fatal : la Cour des Comptes algérienne l’accuse, en 1983, d’avoir détourné de fortes sommes d’argent provenant des reliquats budgétaires des ambassades. Il nie. Et tient à défendre son honneur dans une lettre transmise à Paris. Mais les Français ne doutent guère du bien-fondé des accusations. « La corruption de Bouteflika était de notoriété publique », lit-on dans un télégramme du 17 mai 1983 qui annonce sa première condamnation. « Toute la lumière n’a pas été faite sur ses agissements », souligne-t-on dans la même correspondance, mais « des sanctions pénales devraient logiquement suivre », affirme l’ambassadeur Guy Georgy. Et lorsque, en août, un nouvel arrêt de la Cour des Comptes algérienne tombe, le diplomate n’est pas davantage enclin à l’indulgence envers l’ex-ministre. Abdelaziz Bouteflika, qui « passait pour un grand prévaricateur », écrit-il, et « constituait un gibier de choix : non seulement pour sa gestion des fonds publics, mais aussi parce qu’il avait peuplé son ministère de “copains et de coquins” ».

L’ambassadeur ne se doutait probablement pas qu’Abdelaziz Bouteflika assouvirait un jour son rêve de pouvoir suprême. Et qu’en 1999, après une très longue traversée du désert, il accéderait à la présidence du pays. Vingt ans plus tard, son clan l’y maintient encore. Jusqu’en 2024, espère-t-il.

Par Céline Lussato

Source : OBS

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