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jeudi 28 mars 2024
ActualitéBouteflika, compte à rebours

Bouteflika, compte à rebours

Le président doit confirmer ce dimanche sa candidature pour un cinquième mandat, au risque d’attiser la révolte.

 

Ce n’est pas la première fois que des anciens du sérail, des ex-galonnés estimant avoir sauvé le pays du péril islamiste à l’issue de la décennie noire, viennent voir le vice-ministre de la Défense. Ahmed Gaïd Salah, 79 ans, entend leur refrain depuis des années : « lâche donc le président », « ce n’est plus tenable », « fais-le pour le bien du pays ». Mais à chaque fois, et encore récemment, celui qui cumule également la fonction de chef d’état-major de l’armée leur a répondu : « je ne peux pas le lâcher, je lui ai donné ma parole ». Ce ne sont pourtant pas les options qui manquent face à la colère grandissante du pays qui s’exprime depuis le 10 février, date de l’annonce de candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat.

Mise en incapacité constitutionnelle du président, report in extremis de l’élection prévue le 18 avril, formation d’un groupe de « sages » afin d’ouvrir un nouveau chapitre de la démocratisation du pays ? Pas sûr que ce soit si simple. « Le système politique et sécuritaire algérien, hérité de la guerre d’indépendance, est par nature opaque, et les rumeurs qui font de Gaïd Salah un homme providentiel amené à prendre les rênes du pouvoir ne sont guère crédibles, commente Flavien Bourrat, chercheur et expert du Maghreb à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. C’est un serviteur loyal du pouvoir et de l’actuel président, à qui il doit sa position. D’autre part, les militaires, s’ils se posent en gardiens de certaines lignes rouges et en dépositaires du nationalisme algérien, ne souhaitent visiblement pas se réinvestir dans la gestion des affaires politiques. »

Il n’en demeure pas moins que le nom de Gaïd Salah n’a pas été hué par la foule, comme si l’armée, dont il est le doyen, était épargnée. « La chance de Gaïd Salah est que le maintien en vie de Bouteflika et son annonce de candidature à un cinquième mandat ont permis d’orienter la colère des manifestants vers le président, qui a été comme par hasard envoyé en Suisse se faire soigner, et non plus en France, quelques jours seulement avant le dépôt officiel des candidatures », décrypte Luis Martinez, directeur de recherche à Sciences-Po et auteur de plusieurs livres remarqués sur l’Algérie. Les mains libres, en quelque sorte, mais pour être à la manœuvre. L’un des gardiens du « système » peut-il toutefois réorienter le pays sans mettre fin audit système, ce que réclame la rue ? « Gaïd Salah est peut-être un montagnard, un sanguin, un type pas très lettré mais lorsqu’il a fallu faire le ménage, notamment en débarrassant le pouvoir du tout-puissant général Toufik, ex-patron des services de renseignement, il l’a fait », raconte Mohamed Sifaoui, auteur d’un Où va l’Algérie ? (éd. du Cerf ) des plus renseignés. « En fait, poursuit l’enquêteur, la grande question est de savoir si la population se contenterait du départ de Bouteflika ou si elle n’en profiterait pas pour réclamer que le système se purge jusqu’au bout. Si c’est le cas, c’est terrible, parce que les généraux, les oligarques, les courtisans de Bouteflika ont une peur bleue de tout perdre et ils vendront donc chèrement leur peau. » À moins de trouver un candidat de rechange ou un intérimaire pour assurer une forme de transition. Le nom de Ramtane Lamamra, 66 ans, a été avancé ces dernières heures pour remplacer Ahmed Ouyahia au poste de Premier ministre. Diplomate, ancien ministre des Affaires étrangères, apprécié à Washington comme à Paris, il aurait rendu visite au président B Bouteflika, à Genève, cette semaine.

L’annonce, hier, par l’entourage de Bouteflika du limogeage de son directeur des trois dernières campagnes, Abdelmalek Sellal, pour le remplacer par Abdelghani Zalène, ministre des Transports et ancien wali d’Oran, 54 ans, est un signal qui crédibilise la confirmation de candidature. Quelle que soit la décision, elle sera prise dans les prochaines heures par consensus entre les hommes du premier cercle.

« Ce facteur est essentiel pour comprendre le mode de fonctionnement de l’appareil d’État algérien qui est composite, tiraillé par des rivalités et des divergences mais soudé par un souci de maintenir le système existant dans la durée », précise Flavien Bourrat.

Pour l’instant, Ahmed Gaïd Salah, par sagesse ou par pragmatisme, a bien pris soin de ne pas réprimer violemment la révolte en cours, alors que chacune des innombrables manifestations ces trois dernières semaines était interdite. Comme s’il ne voulait pas laisser en héritage un printemps qui fanerait dans d’autres années de cendre.

François Clemenceau

Source : Le journal du dimanche

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