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vendredi 29 mars 2024
InternationalAu Soudan, la résistance ressurgit à la nuit tombée

Au Soudan, la résistance ressurgit à la nuit tombée

La répression du début du mois a fait une centaine de morts. Depuis, les manifestants optent pour des défilés nocturnes.

Les premiers youyous stridents retentissent dans l’obscurité. Dans la banlieue de Khartoum, la capitale soudanaise, une quinzaine de personnes se mettent en marche, à la lumière des téléphones portables. Leurs pas sont rythmés par le son des tambours, ponctué d’un cri: «Thawra!» («Révolution!»)

L’Association des professionnels soudanais (APS), qui a mené le mouvement de contestation ces derniers mois, a appelé à reprendre les manifestations, à la nuit tombée. Depuis presque deux semaines, le réseau internet est coupé sur ordre des autorités. Mais le mot d’ordre semble se répandre dans les quartiers, par le bouche à oreille et par SMS. «Soit nous mourrons, soit nous obtiendrons nos droits», clament les manifestants. Des hommes, des femmes et des enfants rejoignent la procession qui grossit jusqu’à compter environ 300 personnes. Le rassemblement est de courte durée. Moins d’une heure plus tard, les gens se dispersent et rentrent chez eux, avant l’arrivée des forces de sécurité. C’est dans une atmosphère oppressante que la résistance tente de se réorganiser.

Il y a pourtant eu un bref moment d’euphorie à Khartoum, une allégresse que la génération qui a grandi sous la dictature d’Omar el-Béchir n’avait jamais connue. Plusieurs mois de manifestations acharnées ont entraîné sa chute, le 11 avril, après trente ans au pouvoir. «Je parvenais à peine à y croire. Et en même temps, j’étais plein d’espoir, raconte Omar Husham, 21 ans, informaticien. J’en avais les larmes aux yeux.»

L’armée tire sur la foule

Le sentiment de liberté fut de courte durée. Le 3 juin, alors que les contestataires continuent d’exiger un gouvernement civil, que le Conseil militaire de transition (TMC) – qui a pris le pouvoir après la destitution d’Omar el-Béchir – rechigne à le partager, les forces de sécurité tirent sur la foule, rassemblée depuis près de deux mois dans un immense sit-in devant le siège de l’armée. C’est un carnage. Au moins une centaine de personnes sont tuées. Des centaines d’hommes et de femmes sont tabassés à coups de canne, fouettés, humiliés. «C’était horrible, je ne trouve pas les mots pour décrire ce qu’il s’est passé, dit Omer. J’ai vu des viols, un docteur abattu à bout portant, des dizaines de blessés qui criaient…» Le traumatisme est profond. «C’est un deuil. Même ceux qui n’étaient pas là lors du massacre pleurent les morts et la perte du sit-in», dit Sulaima Sharif, psychologue et activiste, qui a parlé à de nombreuses victimes des violences. Les protestataires accusent les Forces de soutien rapide (RSF), des troupes paramilitaires réputées pour leur brutalité. Elles obéissent aux ordres du général Mohamed Hamdan Daglo, dit «Hemeti», numéro deux de la junte militaire, un ancien chef de guerre qui a semé la terreur au Darfour. Dans les rues de Khartoum, les miliciens des RSF restent présents, postés à côté de leurs pick-up armés de mitraillettes.

Les négociations sont au point mort depuis le mois dernier. La coalition d’opposition, les Forces pour la liberté et le changement (FFC), demande un partage du pouvoir avant l’organisation d’élections, une enquête internationale sur le massacre et le retrait des RSF de la capitale. Des demandes largement rejetées par les militaires, qui disent vouloir éviter le «chaos». «Nous ne voulons pas que le Soudan devienne une nouvelle Libye, dit le général Salah Abdelkhalek, membre du TMC. C’est pour cela que tout le monde devra être inclus dans le gouvernement. Nous n’avons pas l’intention de rester à la tête du pays. Mais pour l’instant, le conseil militaire est nécessaire pour la stabilité.» Début juin, l’Union africaine a suspendu le Soudan, jusqu’à ce qu’un gouvernement civil soit formé. Le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, tente une laborieuse médiation.

Résistance pacifique

Et la défiance renaît dans les esprits meurtris. «Nos objectifs n’ont pas été atteints. Le Conseil militaire de transition ne nous représente pas», dit Sarah, une jeune activiste et étudiante en médecine, qui participe à un rassemblement de protestation nocturne. Elle a déjà été arrêtée deux fois. Malgré la colère, la frustration, la peine d’avoir vu ses rêves de liberté anéantis, elle continue de prôner la résistance pacifique, face à un adversaire lourdement armé. «Bien sûr que j’ai peur, dit-elle. Mais nous devons faire passer le message: nous ne les acceptons pas comme nos dirigeants légitimes. Et pour cette cause, je suis prête à prendre tous les risques.»

Source 24 heures

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