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vendredi 19 avril 2024
FranceLa laïcité et la liberté

La laïcité et la liberté

La posture du comité d’experts de l’ONU qui interroge la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public en dit long sur le malaise qui règne autour de l’objet mal identifié « islam ».

En effet, certains acteurs ont bien du mal à faire la différence entre ce qui relève de la liberté de conscience (et la liberté de manifester ses convictions), normalement garantie par le droit européen, par le droit français et notamment la laïcité. Et ce qui révèle au mieux un dysfonctionnement individuel et au pire un début de processus de radicalisation (autrement dit un surinvestissement de la loi divine qui peut mener à estimer légitime le recours à la violence pour remettre en cause l’ordre établi).

Sans critères, on assiste à deux types de dysfonctionnements qui sont les deux faces de la même pièce : une gestion laxiste, acceptant de musulmans des comportements qu’on n’accepterait de personne d’autre, ou une gestion discriminante, refusant aux musulmans des droits pourtant garantis à tous les citoyens. Ces deux types de dysfonctionnements se retrouvent dans des espaces très divers : entreprises, collèges, lycées, foyers éducatifs, gestions d’équipes de salariés, etc.

Ceux qui adoptent une gestion laxiste légitiment leur vision en expliquant que l’on doit «respecter la différence de la religion musulmane».

Ceux qui adoptent une gestion discriminante légitiment leur vision en expliquant que «l’islam doit évoluer et s’adapter».

Les deux camps nourrissent au fond des représentations négatives communes sur cette religion. Les uns pensent qu’il faut la tolérer, les autres pensent qu’il faut s’en protéger.

Les experts de l’ONU pensent probablement « respecter l’islam » en expliquant que la loi de 2010 entrave la liberté de conscience des musulmans. Pourtant, est-ce que considérer que l’islam interdit aux femmes de montrer leur visage relève-t-il vraiment du respect de cette religion ?

Valider l’interprétation des Wahhabites, qui prétendent que les musulmanes doivent être masquées, uniformes, sans visages et sans contours identitaires, relève-t-il vraiment de l’application des Droits de l’Homme ?

Pourtant, l’objectif des radicaux est justement de détruire les individualités pour renforcer la fusion des membres au sein du groupe radical. Ne pas réagir quand un salarié refuse de serrer la main des femmes, quand un collégien crache par terre en prétendant que l’islam lui interdit d’avaler sa salive pendant le ramadan, quand un père coupe les têtes des poupées en prétendant que l’islam interdit les images… Ne relève pas du respect de l’islam, mais dévoile des perceptions inconscientes qui perçoivent l’islam comme une religion par essence archaïque.

Si un père chrétien coupait la tête des poupées de son bébé, le juge des affaires matrimoniales lui demanderait gentiment de se soumettre à une expertise psychologique, car il diagnostiquerait son comportement comme un dysfonctionnement et ne le validerait pas comme le produit de sa religion, quoi qu’il en dise… Il n’y aurait pas de « mutuel du croire partager », comme dirait Danièle Hervieu-Léger. Chacun saurait, qu’il soit croyant ou non, que la religion chrétienne n’oblige pas à effacer le visage des poupées d’enfants…

Les radicaux connaissent la difficulté des interlocuteurs politiques et institutionnels à se positionner : ils présentent leurs comportements de rupture avec le contrat social comme si ces derniers étaient de simples applications automatiques de l’islam, au pied de la lettre. Progressivement ils redéfinissent les interprétations de l’islam et wahhabisent l’Europe, provoquant la montée des mouvements d’extrême droite.

L’amalgame entre musulmans et radicaux profite toujours aux radicaux de tous bords. Chacun a besoin de la haine de l’autre pour exister. Les extrémismes se nourrissent mutuellement. Une seule sortie pour échapper à cette vision binaire : former les professionnels pour qu’ils puissent appliquer les mêmes critères de gestion aux musulmans qu’aux autres citoyens, tout simplement, sans tomber dans le laxisme ou la discrimination. C’est la meilleure manière de considérer tous les citoyens de manière égale. Et de les respecter.

 Dounia Bouzar

Anthropologue du fait religieux en France

 

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